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poésie cursive
28 janvier 2010

le Sélect

Ce jour là nous y avions rendez vous avec ton frère, ton demi frère par ton père.

Tu venais d’apprendre son existence. Il t’avait retrouvé par internet et t’avait raconté – c’était pendant la guerre … sa mère infirmière, ton père blessé, les temps troublés..

Il avait 60 ans, habitait Paris, nous donnait rendez vous au Sélect ! Je trouvais cela très romantique. Toi, tu pétillais d’une joyeuse fébrilité.

Arrivés en avance, nous regardions la faune particulière qui peuplait cet endroit mythique.

Il flottait ce jour là, comme vapeurs d’absinthe, une poésie en suspens, des personnages hauts en couleurs attisaient une curiosité qui semblait commune aux clients de l’illustre café.

Un jeune homme ombrageux à souhait, à l’épaisse chevelure noire, feuilletait un livre broché, buvant café sur café.

Une vieille dame joliment poudrée de rose, parée de chaudes soieries, souriante et coquette, s’appliquait à laisser choir de la banquette son étole en renard, très régulièrement, prodiguant de lumineux sourires à qui le lui ramassait, le serveur la traitait avec tendresse, lui rendant son étole comme une mère son doudou à l’enfant.

Deux hommes en costumes jaune et rouge, très assortis, parlaient littérature, sirotant des cocktails de coloris assortis à leurs habits, dans de grands verres à pied. Leur affectation distinguée nous ravissait.

La lumière opaline cuivrait l’ambiance

Dans la soucoupe les pistaches qui accompagnaient nos américanos se raréfiaient… Serait-il à l’heure ?

La porte d’entrée sur le boulevard s’ouvrit. La grande vitre dépolie comportait en son haut une bande transparente, on entrevit une écharpe de lainage rouge et sur la barre verticale de laiton rutilant, un gant de pécari ajouré aux jointures.

Echarpe rouge, gants de pilote automobile, le puzzle se mettait en place, évoquant l’amateur de Bugatti, ton père..

Un homme grand, cheveux d’argent, apparaissait. Ses yeux bleus clair balayaient le décor, se posaient sur nous.

Je ne pouvais m’empêcher de lui sourire sans retenue, l’ossature de son visage était celle du buste sculpté du père, le menton volontaire … Marque de fabrique indiscutable, à n’en pas douter, c’était lui !

Toi, tu t’es levé, tu l’avais reconnu ! Lui doutait, tu tenais de ta mère et ses ancêtres corsaires un visage buriné.

Ces deux hommes murs, inspirant le respect, se rapprochaient et leur émotion était belle à frissonner.

Il me regarda ensuite avec une réprobation explicite, j’avais mes lunettes de soleil, je les ôtais ; il me gratifia alors d’un sourire lumineux, solaire, celui de son père.

Il prit un américano aussi, les propos s’échangeaient, pudeur, prudence, sincérité…

La vérité se révélait… Distillant de précieux moments.

Nous partîmes dîner avec en nous trois greffé le souvenir inexpugnable de ce mythique café.

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